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Devenir ou Destin
En marchant , élaborer nos propres chemins ou bien suivre les vieilles ornières.

Vaste amoncellement de réflexions personnelles sur la vie, la science, la politique, la nature?, l’esprit?, parfois les actualités politiques… Dirigés vers un but : élaborer notre propre chemin afin d’éviter le morbide et prévisible destin capitaliste.

Le tout avec de nombreux détours musicaux.

Un jeu incompréhensible
Article mis en ligne le 8 mai 2014

Il y a quelques décennies, aux alentours de mes seize ans, j’allais l’été camper deux semaines dans le Massif Central ou le Jura avec d’autres membres du MRJC (Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne, ancienne JAC). C’était sympa, c’était ma découverte de la montagne, c’était aussi ma découverte d’une ambiance totalement différente de l’ambiance familiale, de l’ambiance scolaire et de l’ambiance avec la bande de jeunes de mon petit bled. Nous ne dansions pas en écoutant des disques, nous chantions et il y avait des guitares. Nous ne nous lamentions pas comme avec ma mère, nous nous promenions en chantant. Nous n’étudions pas des choses que nous n’avions pas demandé d’étudier, nous regardions le monde, des villes et des villages inconnus, des paysages inconnus… Eh puis il y avait des filles et j’avais quinze ou seize ans. Je respirais.

Pourtant, il y eut un jour dans l’un de ces camps une fausse note. Un jeu. Une idée du curé, peut-être. A moins que ce ne soit celle d’un animateur. Je ne me souviens plus des détails mais il s’agissait d’un jeu consistant essentiellement, pour les mecs, à choisir une fille, la bonne, celle qui va vous recevoir par une bise et pas par une claque. Et pour les filles, donc, le jeu consistait à accepter ou refuser le mec venu vers elle. Tout le monde avait l’air de trouver ce jeu convenable et même plaisant, sauf moi à qui ce jeu faisait peur. Mais je m’y suis plié, je n’imaginais même pas la possibilité de m’enfuir et de faire bande à part. Personne? n’aurais compris que j’agisse ainsi.

Seulement je n’avais aucune envie de montrer à tout le monde qu’il se passait vaguement, virtuellement, quelque chose entre moi et une des campeuses. Si bien que, mon tour venu, j’ai choisi de me diriger vers une autre. Et j’ai reçu une claque. J’ai préféré courir le risque de recevoir une claque plutôt que d’aller vers celle qui, j’en suis absolument certain, m’aurait accueilli à bras ouverts avec un grand sourire. Et cette dernière n’a jamais su pourquoi je n’étais pas allé vers elle ce jour-là pendant ce foutu jeu-là. Et il ne s’est plus rien passé entre nous, même "vaguement".

Trois décennies après ces événements, au début des années 2000 en fest-noz, je découvris avec stupéfaction que des adultes jouaient volontiers à un jeu très similaires (mais sans différenciation de rôle des genres). Cela se passe au cours de rondes, de danses en rond. Un homme ou une femme est au centre du cercle et choisi une personne? dans le rond qui accepte ou non de quitter la ronde pour danser un court instant avec la personne? qui l’invite. Puis la personne? invitante passe le relais à la personne? invitée qui va à son tour choisir quelqu’un.

Quand j’ai découvert ce jeu, j’ignorais que l’on pouvait refuser l’invitation et cette possibilité ne m’est jamais venu à l’esprit? (malgré mon expérience d’adolescent). J’ignorais tout, d’ailleurs, je ne savais pas jouer à ce jeu et l’on ne m’a jamais expliqué les règles. De toute façon, dire non, je ne peux pas. Je suis incapable de dire non si je ne suis pas en colère, si je ne suis pas fâché. Autrement dit, je ne peux dire non, je peux seulement dire merde, ce qui n’est pas toujours plus pratique. Il ne m’était donc pas facile d’imaginer que l’on pouvait dire non, sauf en me remémorant mieux le jeu de mon adolescence MRJC, ce que je n’ai pas fait.

Et non seulement je ne sais pas dire non, mais je ne sais pas non plus demander. Il y a longtemps, très longtemps, mon instinct de survie m’a poussé à cacher mes pensées au monde, à ne les dire à personne? afin de les ruminer seul dans mon coin. Donc je ne dis pas non et je ne demande rien.

L’un des effets de ce choix est mon incapacité à marchander. C’est simple : je n’essaie même pas, jamais. Je n’en ai jamais envie, d’ailleurs, même lorsque je me rends compte que je devrais le faire.

Bref, il m’est arrivé en fest-noz de ne pas pouvoir échapper à ce jeu auquel je ne sais pas joué, dont je ne connais pas toutes les règles, que je n’ai pas du tout envie de jouer, auquel je ne trouve absolument rien d’amusant. Il est évident que je ne me joignais pas à la ronde lorsque je savais qu’on allait y pratiquer cet étrange passe-temps (comme si la danse seule n’en était pas un bien meilleur). Malheureusement l’on ne peut toujours savoir à l’avance ce qu’il va se passer. Et une fois piégé il est peu poli de s’échapper. Et s’échapper est une façon de dire non, impossible avant la colère. Cela m’a gâché plusieurs fin de soirées et fin d’après-midi (ce jeu se pratique plutôt en fin de bal).

Le plus dur fut le coup où je découvris à mes dépends que l’on pouvait refuser l’invitation. J’ai eu l’air bien con, perdu au milieu du rond et ne sachant plus quoi faire, essayant à nouveau après un premier refus et en essuyant un autre. Même la personne? avec qui j’étais juste avant refusa mon invitation dans un premier temps. J’étais complètement pommé, perdu. Je me demande bien comment les autres m’ont perçu à ce moment-là et ce qu’ils ont bien pu comprendre de mon comportement. Il est vrai que, si je me souviens bien, aucune femme dans cette ronde ne me plaisait vraiment. Cela peut arriver. Il y en avait une que j’aimais bien et avec qui je m’entendais bien, celle auprès de qui je dansais, d’ailleurs, juste avant qu’une autre m’entraîne au milieu, je ne me souviens plus pourquoi je ne l’ai pas tout de suite choisie. Peut-être pour la même raison qu’au camp MRJC, bien que nous ne nous cachions évidemment pas pour danser ensemble, loin de là, ni pour bavarder ensemble, ni même pour boire un coup ensemble. Mais je crois plutôt que c’est parce qu’il me semblait que le jeu consistait à choisir quelqu’un pour qui on éprouvait un attrait sexuel?, ou tout simplement parce que j’avais envie d’en profiter pour aller vers quelqu’un me faisant éprouver cette chose bizarre qu’est l’attrait sexuel?. Et ce n’est pas ainsi que j’aimais la femme avec qui j’avais passé du temps ce jour-là (et quelques autres jours aussi), au risque d’un malentendu, sans savoir que nous passions-là nos derniers moments ensembles (c’est aussi la dernière fois que je la vis non accompagnée d’un homme, un hasard je suppose).

Cette histoire-là remonte à au moins six ou sept ans déjà, et le souvenir n’en était plus tout à fait frais dans ma tête samedi soir, hélas. Sinon je me serais méfié. Samedi, lorsque le jeu a commencé je bavardais et ne m’en suis pas aperçu tout de suite. Il se peut même que je fut invité sans que je m’en rende compte parce que je ne regardais pas devant moi et que j’ignorais qu’il y avait ce jeu. Il m’a semblé, en tout cas, à un moment donné, qu’on m’adressait des signes pour me faire comprendre que j’avais quelque chose à faire. Mais je n’en suis même pas tout à fait certain aujourd’hui, tellement cela me paraît improbable qu’une femme puisse se tenir devant moi sans que je la vois. Pourtant, est-ce vraiment si improbable ?

Mais ce n’est pas cela qui me gêne aujourd’hui puisque je n’ai rien vu, c’est la suite. Une adorable jeune femme (que j’avais remarqué plus tôt dans la journée) m’invita. Là je suivais et j’ai vite réagis. J’avoue apprécier cette partie du jeu lorsque la surprise est aussi agréable, bien que dans le cas présent je n’ose croire qu’elle aussi ait suivi l’attrait sexuel?. Peut-être s’est-elle seulement dit qu’avec moi elle ne courait guère de risques (ni refus, ni acceptation trop entreprenante). Sans doute aussi n’y avait-il guère d’hommes…

Quoi qu’il en soit, il est de toute façon interdit de garder sa nouvelle partenaire, il faut en choisir une autre. J’essaie de choisir assez vite pour éviter de "m’énerver" ou d’angoisser. Je ne sais trop comment exprimer cela… Je suis de la race de ceux qui perdent une partie de leurs facultés en présence d’autres personnes, même dans des circonstances ordinaires, mais c’est bien pire dans des circonstances aussi difficiles. Bref, j’ai opté pour une autre jeune femme séduisante qui sembla hésiter un instant mais qui accepta. Ouf !

Jusque là, peut-être que j’avais déjà commis des impairs, je ne sais, en tout cas je ne m’en étais pas aperçu (entre autres choses, je perds une partie de mes facultés de perception). Mais ce n’était pas fini. Car il me fallait laisser cette nouvelle partenaire puis réintégrer le cercle. Toujours pour être vite débarrassé de la corvée j’ai visé entre deux filles au hasard (en Bretagne, on essaie de respecter une alternance un gars-une fille-un gars-une fille). Et voilà que l’une d’elle m’accuse d’agir avec autorité ! Et d’ajouter : « Ce n’est pas parce qu’on est du même genre qu’on n’est pas amoureuses. » Visiblement une féministe ou une LGBT à la gâchette facile mais qui, devant mon étonnement, a fait machine arrière. N’empêche que j’étais interloqué : je ne savais pas que je m’étais imposé autoritairement dans la chaîne sans égard pour les deux personnes que je séparais. Rétrospectivement, je me dis que c’est pourtant assez probable. Étant très mal à l’aise dans le rôle que l’on me demandait de tenir, je ne pouvais que commettre des maladresses.

Et aujourd’hui je m’interroge. L’incompréhension dont je fais preuve vis-à-vis de ce jeu n’est-elle pas la même que j’ai face à la vie, en particulier face à la vie amoureuse ? Les erreurs, les maladresses et les impairs que je commets chaque fois lors de ce jeu ne sont-elles pas les mêmes que je commets dans la vie, spécialement dans mes relations avec les femmes ?

Il y a des différences évidentes. Ce jeu m’oblige à agir là où dans la vie je n’agirais pas, ou bien différemment.

Je ne sais. J’ai besoin que l’on m’éclaire. J’ai aussi besoin de demander qu’à chaque fest-noz quelqu’un veuille bien me rappeler les risques encourus et, éventuellement, me conseiller de partir avant la fin.